Flirter avec les actions européennes
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Le 29 avril 2024
Selon ses propres critères, le marché boursier européen a été solide au premier trimestre, l’indice MSCI Europe progressant d’environ 7 %. Pour un marché qui s’est accommodé d’un rendement annualisé approximatif de 4 % pour les 10 dernières années, le présent résultat est fort encourageant. Néanmoins, l’enthousiasme ressenti par les investisseurs à l’égard des actions européennes au premier trimestre pourrait être teinté d’un soupçon de jalousie : d’autres grands marchés boursiers – notamment celui des États-Unis, où l’indice S&P 500 a grimpé de plus de 10 % – ont été plus rentables que celui de l’Europe. Évidemment, cette contreperformance par rapport aux États-Unis n’a rien de nouveau pour l’Europe. En effet, les investisseurs mondiaux affectionnent la plus importante économie au monde depuis longtemps, et lorsqu’ils s’intéressent à l’Europe, celle-ci est généralement reléguée au rang d’« amie » souvent négligée.
Cependant, tout comme l’amour, les marchés boursiers peuvent être capricieux. Et il est tout à fait à point de penser que l’Europe mérite présentement plus qu’un amour éphémère. Les évaluations sont à des creux historiques ou près de ceux-ci et la conjoncture macroéconomique pourrait s’améliorer. Nous soulevons donc deux questions : est-ce que le rendement (relativement) solide des actions européennes se maintiendra? Est-ce que l’intérêt pour ce marché pourrait devenir plus que passager et capter l’engouement des investisseurs?
Pour être en mesure de répondre à ces questions, examinons de plus près le profil de l’Europe au début de 2024. Le premier trimestre peut être divisé en deux périodes. En janvier et février, le marché européen était haussier vu l’enthousiasme soulevé par l’intelligence artificielle et les attentes de baisses des taux d’intérêt, idem pour les marchés américains. Les rendements du marché boursier européen étaient très concentrés – attribuables au groupe de 11 titres surnommé « GRANOLAS » (GSK PLC, Roche Holding AG, ASML Holding NV, Nestlé SA, Novartis AG, Novo Nordisk A/S, L’Oréal SA, LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton SE, AstraZeneca PLC, SAP SE et Sanofi SA), soit une version européenne des « sept magnifiques » aux États-Unis; mais en fait, la concentration du marché était encore plus intense que ce que sous-entend l’acronyme. À un certain moment, cinq titres représentaient plus de 110 % du rendement global du marché (ce qui signifie effectivement que le reste du marché affichait un résultat négatif). En mars, l’humeur a changé, et un plus grand nombre de titres ont contribué aux rendements. Le secteur bancaire a été à la tête de cet élargissement. Les résultats trimestriels des banques européennes à grande capitalisation ont d’abord déçu les investisseurs, mais ces titres se sont tous bien redressés à la fin du trimestre.
Le fait que les évaluations aient semblé si bon marché s’est avéré l’un des moteurs de cette reprise générale à la fin du trimestre. Certes, les actions européennes se négocient habituellement avec une décote par rapport à leurs homologues américaines, et de bonnes raisons existent à l’appui. Les données fondamentales économiques des États-Unis sont depuis longtemps beaucoup plus solides que celles de l’Europe et, cette année, la croissance du produit intérieur brut (PIB) réel des États-Unis devrait être cinq fois plus élevée que celle de l’Europe. Aussi, les actions américaines tendent à être plus rentables que les actions européennes. Pourtant, même si les données fondamentales dictent un rabais, celui-ci commence à sembler excessif. Selon le ratio cours/bénéfice prévisionnel, l’Europe se négocie avec une décote record par rapport aux États-Unis, et ce, même après un rajustement des pondérations sectorielles. En outre, cette situation survient malgré les signes évidents quant à la diminution de l’écart de rentabilité en regard des actions américaines. Les indicateurs avancés comme l’indice des directeurs d’achat (PMI) se sont améliorés et les sociétés ont présenté des résultats meilleurs que prévu. Par ailleurs, le rendement des capitaux propres de l’indice MSCI Europe s’est redressé plus rapidement que celui du marché boursier américain depuis les niveaux planchers atteints pendant la pandémie – une disparité que les investisseurs semblent avoir largement négligée.
La politique des taux d’intérêt pourrait également nuire aux actions européennes cette année. La Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (la « Fed ») font toutes les deux face à un dilemme, mais pour des raisons différentes. Aux États-Unis, la croissance économique est vigoureuse; ainsi, la Fed est réticente à jeter de l’huile sur le feu en réduisant les taux d’intérêt. Par contre, la BCE n’est pas confrontée à un tel « problème » de croissance; mais l’inflation, notamment l’inflation salariale, reste une préoccupation majeure. Par conséquent, la BCE demeure optimiste, et elle pourrait disposer d’une plus grande marge de manœuvre que la Fed pour réduire les taux lorsque l’inflation s’approchera de l’objectif ou atteindra ce dernier. Présentement, les analystes prévoient une diminution de 25 points de base de la part de la BCE en juin, suivie de deux autres baisses au second semestre de 2024. En revanche, certains économistes s’attendent désormais à ce que la Fed ne réduise pas ses taux avant septembre, selon un récent sondage Reuters. Si les taux d’intérêt baissent plus rapidement en Europe qu’aux États-Unis, nous croyons que les perspectives de croissance du PIB et que les évaluations des actions pourraient considérablement s’améliorer.
Certes, ce scénario comporte des risques. L’inflation en est un : elle pourrait s’avérer plus tenace que prévu, ce qui retarderait l’assouplissement du côté de la BCE. La politique en est un autre. L’expérience contestable du point de vue économique du Brexit au Royaume-Uni est bien sûr encore fraîche dans l’esprit de certains investisseurs, et elle présente un avantage : peu de politiciens, voire aucun, d’autres pays envisagent de faire campagne pour des sorties similaires de l’Union européenne. L’immigration s’avère un sujet plus pressant en Europe, car il aide les partis d’extrême droite à gagner du terrain à l’approche de l’élection du Parlement européen en juin. Pourtant, les sondages indiquent que l’extrême droite n’attire que 15 à 20 % des électeurs, ce qui permet de gagner du terrain lors des élections, mais qui se révèle insuffisant pour contester le pouvoir aux partis en place.
Nul n’affirme que l’Europe peut ou devrait s’approprier la place occupée de longue date par les États-Unis en tant que destination de choix pour de nombreux investisseurs. Cependant, nous pensons que les actions européennes représentent une occasion de plus en plus pertinente aux fins de diversification des portefeuilles. À tout le moins, l’amélioration des perspectives économiques et la consolidation de la rentabilité des sociétés laissent entendre que les actions européennes n’ont pas reçu autant d’amour de la part des investisseurs qu’elles le devraient.
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