
Joe Biden et le G7 entendent se frotter à la Chine. Cela va-t-il fonctionner?
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Le 26 juillet 2021
Lorsque Joe Biden a remporté les élections américaines l’an dernier, les attentes étaient élevées quant à une présence américaine plus généreuse et modérée sur la scène mondiale. Et certainement, au cours des six derniers mois, l’engagement de M. Biden à établir des consensus présente un contraste saisissant à côté de l’approche adoptée par Donald Trump, c’est-à-dire antipathie pour le multilatéralisme et enthousiasme pour les guerres commerciales bilatérales, et ce, même au prix d’une détérioration des relations avec ses alliés. Néanmoins, il y a une question sur laquelle le président et son prédécesseur, qui est source de divisions, se ressemblent plus qu’ils ne diffèrent : ils considèrent largement, chacun à sa façon, la Chine et ses ambitions économiques et mondiales croissantes comme mettant en péril la prospérité, la sécurité et la position prééminente de l’Amérique dans le monde.
Mais, c’est la manière dont leurs points de vue se reflètent dans les politiques qui les distinguent. Ces jours-ci à Washington, le sentiment anti-Chine reste toujours aussi fort. Les tarifs douaniers punitifs appliqués par l’administration Trump demeurent en place, bénéficiant d’un soutien bipartisan comme monnaie d’échange pour faire pression sur la Chine en vue d’un changement structurel. Par contre, l’administration Biden ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Elle a plutôt commencé à tenir sa promesse de tirer parti d’alliances mondiales pour forcer la Chine à modifier son comportement. En juin dernier, le G7 a convenu d’une initiative ambitieuse intitulée « Reconstruire le monde en mieux » – un véritable affront à la stratégie de développement des infrastructures « Une ceinture, une route » introduite par la Chine en 2013. En outre, les États-Unis se sont engagés à investir des milliards de dollars dans le développement du secteur national des semiconducteurs, une sorte de coup de semonce à l’initiative « Fabriqué en Chine 2025 » du président Xi Jinping. La politique multilatérale, proactive, et axée sur les investissements, menée par Washington en vue d’être « ferme envers la Chine » ne ressemble en rien à celle de Donald Trump. Mais, tout comme la guerre de tarifs douaniers déclenchée par ce dernier, il est loin d’être certain que l’approche du nouveau président permettra aux États-Unis d’atteindre leurs objectifs vis-à-vis de la Chine.
Il importe de noter que cette bataille d’initiatives économiques se déroule dans un contexte de tendance séculaire de démondialisation, ce que l’administration Trump a accélérée. La pandémie a davantage exacerbé ce mouvement, comme le démontre la pénurie mondiale de l’offre qui a forcé des pays à devenir autosuffisants quant à des technologies clés. Pourtant, les États-Unis et ses alliés se retrouvent maintenant dans une position peu familière et peut-être inconfortable, soit à la traîne de leur concurrent le plus flagrant, la Chine.
Selon l’initiative « Reconstruire le monde en mieux » (Build Back Better World ou B3W), les démocraties riches du G7 se sont engagées à verser des « centaines de milliards de dollars » pour aider les pays en développement à combler le déficit infrastructurel estimé à 40 mille milliards $US, en mettant l’accent sur la mobilisation des capitaux du secteur privé et le financement du développement. Il est clair que le G7 considère un tel programme comme une solution préférable à la « diplomatie du piège de l’endettement » incarnée par la stratégie chinoise « Une ceinture, une route », dont le mandat dure maintenant depuis près de huit ans. En effet, de nombreux pays en développement restent profondément endettés envers la Chine : à la fin de 2019, la Chine représentait 63 % de la dette (112 G$US) de 68 pays à faible revenu par rapport aux membres du G20, selon la Banque mondiale. L’impact d’« Une ceinture, une route » s’étend au-delà de tout ça. Depuis son lancement en 2013 par Xi Jinping jusqu’à la fin de 2020, cette initiative a soutenu plus de 2 100 projets d’une valeur totale d’au moins 2,5 mille milliards $US, selon le fournisseur de données de marché Refinitiv. En comparant avec l’ampleur de l’investissement chinois, la promesse de B3W semble à la fois petite et nébuleuse, et le programme se heurte à des obstacles majeurs; le plus important étant peut-être le degré de coordination — et la bureaucratie concurrente — nécessaire pour lever des fonds et sélectionner des projets parmi sept pays. La Chine, avec son processus décisionnel descendant et son approche unifiée, n’est pas confrontée à de tels défis.
Une autre façon d’évaluer la réponse des États-Unis est à la lumière de la stratégie « Fabriqué en Chine 2025 » (Made in China 2025 ou MIC 2025), une politique industrielle lancée il y a plus de cinq ans par la Chine. L’objectif de MIC 2025 – créer des sociétés concurrentielles à l’échelle mondiale – repose sur trois champs d’activité : encourager la fabrication à valeur ajoutée, progresser par bonds des systèmes existants aux technologies émergentes, et rendre la production moins dépendante des sociétés étrangères. En conséquence, les États-Unis ont cherché à limiter la capacité de la Chine à progresser dans la chaîne de valeur technologique. En 2018, sous l’administration Trump, les États-Unis ont imposé des tarifs douaniers aux produits et autres importations en lien avec MIC 2025, tout en sévissant contre les transferts de technologies vers la Chine. Ce geste a eu au moins une conséquence peut-être imprévue : la Chine, le plus grand consommateur et importateur de semiconducteurs au monde, a commencé à accumuler des stocks de puces. Sous l’effet de la pandémie et de la demande accrue de produits équipés de puces, cet accaparement a contribué à la pénurie mondiale actuelle de semiconducteurs, contraignant par le fait même les États-Unis à viser l’autosuffisance au regard des semiconducteurs à titre d’objectif politique. Au début de juin, le Sénat américain a adopté une loi sur l’innovation et la concurrence, affectant 52 G$US à la recherche, à la conception et à la fabrication dans le secteur national des semiconducteurs, qui représente aujourd’hui seulement 12 % de la capacité mondiale de fabrication de puces, contre 37 % il y a 30 ans.
Les mesures prises par les États-Unis afin de restreindre l’accès de la Chine aux puces ainsi qu’aux équipements de fabrication de ces dernières n’ont qu’encouragé ce pays à trouver des solutions de rechange quant à sa dépendance vis-à-vis des sociétés américaines (et autres). L’autosuffisance en matière de semiconducteurs constitue également l’un des objectifs de MIC 2025, et la Chine s’est engagée à investir 150 G$US sur 10 ans pour y arriver – soit environ le triple de ce que les États-Unis comptent injecter. Selon la Semiconductor Industry Association, les États-Unis devraient faire un investissement initial de 350 à 420 G$US pour devenir autosuffisant, tandis que la Chine nécessiterait une mise de fonds initiale beaucoup plus modeste de 175 à 250 G$US, avec des coûts d’exploitation annuels aussi bas que 10 G$US. La Chine prendra sans aucun doute des années pour établir pleinement son secteur des semiconducteurs, mais si – ou quand – elle y parvient, les revenus des principales sociétés américaines de semiconducteurs pourraient diminuer considérablement. Qui plus est, cette autosuffisance porterait un dur coup aux efforts des États-Unis à freiner l’avancement technologique de la Chine. Sans oublier que ce pays revendique toujours Taïwan – qui abrite la plus grande fonderie de semiconducteurs du monde – comme son territoire.
Devant la présence sans cesse plus musclée de la Chine sur la scène économique mondiale, les États-Unis et ses alliés sont justifiés d’être inquiets. Mais pour répondre de manière efficace aux préoccupations, il faudra plus que des grandes déclarations de mission, des engagements de coopération et des investissements qui n’égalent – ni ne dépassent – ceux réalisés par leur rival économique. A priori, les politiques d’innovation descendantes de la Chine de même que sa vision à long terme permettront presque certainement à cette économie de surpasser celle des États-Unis, pour devenir la plus importante au monde d’ici 2030 – si ce n’est pas avant.
Regina Chi est vice-présidente et gestionnaire de portefeuille à Placements AGF Inc. Elle contribue régulièrement à Perspectives AGF.
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