
Les dessous de la transition énergétique : le cobalt, le Congo et les investisseurs responsables
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Le 15 octobre 2019
Derrière notre idée d’un avenir radieux, écologique et technologique se cache une ombre.
À la source du problème : les batteries lithium-ion, qui renferment du cobalt, un minerai essentiel au bon fonctionnement de nos nouvelles technologies et qui déclenche, au XXIe siècle, une nouvelle ruée vers l’or, alors que des géants comme la Chine cherchent à s’approprier le contrôle de l’offre mondiale.
Ces batteries sont présentes partout, dans nos téléphones intelligents et nos ordinateurs portables, en passant par les véhicules électriques. On les dit « tachées de sang », car les composants qu’elles contiennent sont parfois extraits par des enfants et d’autres habitants de la République démocratique du Congo dans des conditions dangereuses.
Le travail exécrable et la hausse du taux de mortalité de ces « mineurs précaires » ont attiré l’attention de la communauté internationale sur l’industrie minière du cobalt au Congo, et soulèvent des questions délicates pour les adeptes de l’investissement responsable.
À vrai dire, ce scandale illustre le genre de compromis auxquels sont souvent confrontés les investisseurs soucieux des enjeux ESG (environnement, société et gouvernance). D’un côté, nombre d’investisseurs souhaitent voir une amélioration des conditions de travail et une réduction de l’atteinte aux droits humains. De l’autre, beaucoup d’entre eux prônent également la protection de l’environnement et l’avènement d’une révolution technologique, portée par des nouvelles technologies comme les véhicules électriques et les énergies renouvelables.
L’affaire n’est pas seulement dénoncée par des défenseurs des droits humains à travers le monde. De plus en plus de sociétés désirent « assainir » leur chaîne d’approvisionnement et exigent que des chartes éthiques voient le jour et qu’elles couvrent toutes les extractions de cobalt au Congo, pays qui produit la grande majorité de l’offre mondiale. Toutefois, même si des initiatives sont en cours d’élaboration, nous sommes encore loin de normes strictes et acceptées à grande échelle.
L’été dernier, ce scandale a retenti jusqu’au Canada, lorsque des dizaines de mineurs sont morts au Congo, sur le site d’une exploitation appartenant à une société cotée à la Bourse de Toronto. Cette tragédie a soulevé des inquiétudes quant aux risques graves que prennent ces ouvriers précaires pour fouiller les résidus et les déchets de roches, à la recherche de métaux précieux. Il faut peut-être ajouter que ces mineurs travaillaient clandestinement sur le site, mais la garantie de conditions de sécurité adéquates reste un défi, même pour des géants de l’extraction minière.
Certains craignent une trop lente amélioration des conditions de travail, étant donné que la Chine, pays aux antécédents peu convaincants en la matière, détient la majorité des ressources mondiales de cobalt. En effet, elle s’est efforcée d’accroître ses réserves, afin de soutenir ses efforts visant à agrandir toujours plus son parc de véhicules électriques, l’objectif étant d’établir son leadership technologique tout en luttant contre la pollution. Et même si le marché des véhicules électriques accuse un ralentissement à court terme en raison de la révision du programme de financement en Chine, cette dernière reste le premier fabricant mondial.
Parallèlement, certains intervenants de premier plan, comme un chef de file mondial de la production cathodique établi à Bruxelles, s’engagent à s’approvisionner de façon éthique, malgré des coûts possiblement plus élevés. Pourtant, une telle démarche ne semble pas susciter l’émulation; le marché est allé jusqu’à sanctionner la société en raison de la pression exercée sur les marges à court terme et de l’intention de réduire la production à la suite d’un changement de financement. Les grands exploitants miniers qui approvisionnent la société seraient les premiers susceptibles d’arrêter la production si les prix venaient à baisser, alors que les travailleurs précaires restent disponibles.
Mais pour les investisseurs désireux d’employer leur argent à bon escient, un problème fondamental et de plus grande envergure semble se poser : l’investissement d’impact repose notamment sur la volonté de jouer un rôle social et environnemental bénéfique, lequel nécessite impérativement des apports de capitaux.
Certains affirment qu’il n’est pas possible de jouer un tel rôle sur les marchés publics, et qu’il vaut mieux se contenter d’y cerner et d’y réduire les risques concernant les enjeux ESG. Néanmoins, les investisseurs responsables ne devraient-ils pas être prêts à fournir une source stable de capitaux à une société de pointe qui s’efforce d’améliorer les conditions de travail dans lesquelles sont extraits des matériaux essentiels à la transition énergétique?
Une telle transition présente d’importants risques financiers et relatifs aux facteurs ESG, aussi bien pour les intervenants établis que pour les fournisseurs formant de nouvelles chaînes d’approvisionnement. Si les intervenants de longue date ont un modèle d’affaires bien rodé et bénéficient d’une bonne représentation parmi les indices, les nouvelles chaînes de fournisseurs sont, par définition, plus fragiles et attirent moins d’investisseurs véritablement engagés.
Il fait peu de doute que les sociétés bien positionnées profiteront largement d’une transition de ce genre. Mais il est nécessaire de voir la situation à long terme et, plus important encore, les investisseurs responsables devront se résoudre à transférer vers les nouvelles chaînes une portion croissante du budget qu’ils affectent au risque lié à l’approvisionnement établi.
Dans le cas contraire, les retombées seraient bien trop graves.
Martin Grosskopf est vice-président et gestionnaire de portefeuille à Placements AGF Inc.
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